Jean-Louis Poitevin
DE LUMIÈRE ET DE BOUE
Dirt, Hyakutake Editions, 2018, ISBN 979-12-200-3305-3
Quelque chose nous hante, incernable, fuyant, obsédant, aussi violent qu’un éclair traversant l’immensité des nuits, aussi vain qu’un regard allant mourir dans le soleil. Nous savons de quoi il retourne parce que, à l’évidence, chacun de nous fuit la révélation que nous apporterait cette hantise si l’on parvenait à lui faire face. Elle parle d’un bonheur presque infini mais déchiqueté par les serres d’une peur panique qui ne renonce jamais.
Vivre la terre, c’est aller au devant de cette révélation faite de boue et de lumière.
Folie des hommes les poussant à la course, au choc, au combat. Folie d’un corps qui se rêve « voyant » et pousse les hommes à imaginer ce qui leur échappe et à occulter ce qui s’enfonce dans leurs yeux. Sans cesse, en eux, se croisent des lignes sans but qui s’accrochent à leurs pieds tout autant qu’à leurs roues.
Mais courir, c’est finir par tourner en rond autour du vortex de l’œil. S’arrêter un instant pour regarder, c’est s’offrir aux fantômes.
Les uns, qui tournent en rond dans la nuit de la boue, creusent un ciel inverse et éclaboussent de particules proches du néant le chaos qui jaillit de l’invisible humus mental. Les autres examinent à la loupe les interstices de l’oubli en espérant y trouver la voie qui les conduirait de la terre vaine, cette limite extrême du paysage mental, au soleil qui tue.
Les uns ont fait du cercle la scie circulaire qui débite les rêves en tranches sanguinolentes. Les autres tentent de faire suinter par les pores de la nuit ce qui s’exhibe nu, un désert crénelé.
Les uns usent l’impossible sur le métal brûlant d’une roue malade et cognent de leurs marteaux intérieurs sur une tôle irisée. Les autres écrivent à même le vivant la loi du partage qui ne doit pas finir.
Ensemble, ils déchirent le silence. En vain.
Ces silhouettes imaginaires qui nous parviennent ici dans l’exactitude sublime d’images décisives, nous font entendre la voix secrète d’une vérité brûlante : la roue éternelle, « soleil cou coupé » et la ligne sans fin, courbure du rêve sur l’envers des paupières, portent aussi en elles la possibilité de vivre. Ici, la danse de la mort et la ligne de la vie égalisent leur folie en traversant nos yeux.